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Le pianiste lausannois signe un double album, qui réunit de grands cycles comme des piécettes. Il saisit la nature sauvage du compositeur comme sa part contemplative.
Rien n'est mineur chez Schumann. Même la plus petite pièce recèle des trésors de poésie. Cédric Pescia l'a compris. Le pianiste lausannois est capable de se mesurer aux grands cycles qui réclament une fougue incandescente (Davidsbündlertänze, Carnaval) comme aux pièces apparemment
les plus anodines. Il perce le mystère de ce compositeur, tiraillé entre ses deux personnalités, Horestan l'impulsif, Eusebius le tendre, le rêveur.
Cédric Pescia, qui s'était attelé aux Papillons, Davidsbündlertänze et à l'Album de la Jeunesse il y a quelques années, signe son deuxième disque Schumann dans le cadre d'une intégrale confiée à plusieurs pianistes chez Claves. C'est à vrai dire un double album, au minutage généreux, qui permet au musicien d'explorer toutes les facettes du compositeur. Sans compromis.
Il y a un absolu, chez Pescia. On pourrait, d'une manière caricaturale, partager le monde des pianistes en deux catégories: les «gros bras» et les «fragiles». Ces derniers ont terriblement la cote, au point qu'on perd parfois l'espoir de trouver des artistes au tempérament trempé. L'idéal est de mêler ces deux qualités, une virtuosité à toute épreuve, et une sensibilité qui rend à Schumann ses fêlures et ses contradictions.
Il faut avoir des réflexes rapides pour jouer Schumann, sans quoi on passe à côté des sautes d'humeur, si caractéristiques de son écriture. En un éclair, Schumann bascule de l'exaltation à la détresse. Parfois les deux sentiments sont mêlés, et il est délicat de rendre cette ambiguïté. Il faut des accents, du tempérament. Et puis de la hardiesse («boldness» disent les Anglais), sans quoi Schumann sonne petit, étriqué.
Cédric Pescia prend cette musique à bras-le-corps. Il anime le Carnaval d'une fougue vive et juvénile, là où d'autres prônent une élégance aristocrate. On pourrait lui reprocher d'en faire un peu trop, comme dans la «Marche» finale du Carnaval qui semble un peu bousculée. Le pianiste s'autorise des risques insensés (Navelettes de l'Opus 21). Il privilégie le feu de l'instant - sans perdre de vue la courbe générale. Il attaque la 8e Novelette sitôt la précédente terminée. Ce flot ininterrompu, c'est bien la marque d'un pianiste testant les limites d'une virtuosité toujours habitée. Dans cette 8e Novelette, le piano tangue, c'est une course éperdue. Au bord du gouffre (le toucher un peu heurté rappelle celui d'Horowitz), le pianiste maintient pourtant le cap. C'est dans cette prise de risques maximale qu'il trouve sa vitesse de croisière, en haute mer, sur la crête des vagues.
Ailleurs, Cédric Pescia est capable d'un recueillement également nécessaire pour Schumann. Le pianiste cisèle chaque pièce avec amour, en retire le maximum d'expressivité. Ecoutez «Leid ohne Ende» des Albumblatter (CD1, plage 42). C'est une porte ouverte sur l'éternité, un rai de lumière apaisant. Les Impromptus de l'Opus 5 (un merveilleux cycle de variations) comme les Sept Pièces en forme de fughette de l'Opus 126 reflètent la part plus intérieure de Schumann.
Et puis les Chants de l'Aube, dans leur décantation, ravissent par leur simplicité empreinte de mystère. Un bonheur.
(Julian Sykes)